Un éboueur dans le Thalys
Le 18 janvier 1999 à Cologne, l’artiste camerounais Barthélémy Toguo monte dans le Thalys à destination de Paris. Il est habillé dans la tenue des éboueurs de la ville de Paris, une tenue en parfait état qu’un ami éboueur lui a prêté.
Barthélémy Toguo a réservé la place 84 en voiture 27. Une place située dans le carré central, là où quatre personnes peuvent s’assoir face à face. Les fauteuils 82, 83 et 85 sont déjà occupés quand le plasticien performeur arrive dans lewagon. Il s’assoit.
Dans les minutes qui suivent, les voyageurs des places 82, 83 et 85 quittent leurs places pour aller s’installer plus loin… Une heure après, à la hauteur d’Aix-la-Chapelle, un contrôleur arrive : “Bonjour Monsieur, vous n’avez pas le droit de voyager dans cette tenue.” Etonné, Barthélémy Toguo lui demande pourquoi, et s’il y a une tenue appropriée pour prendre le Thalys.
Son billet est en règle, il voyage tranquillement, il n’a importuné personne, mais visiblement la tenue des éboueurs de la ville de Paris est incompatible avec celles des hommes d’affaires du Thalys… Après quelques minutes de discussion, le contrôleur lui indique qu’il met les gens mal à l’aise et lui demande de descendre à Aix-la-Chapelle.
Réponse de Barthélémy Toguo : “Les voyageurs des places 82, 83 et 85 se sont-ils plaints ? Ont-ils changé de place à cause de ma tenue ? À cause de ma condition d’éboueur ?”
Les questions restent sans réponse. Le contrôleur commence alors à perdre patience. Barthélémy Toguo refuse d’obtempérer. Excédé, le contrôleur lui précise qu’à Bruxelles, les services de sécurité et la police ferroviaire vont s’occuper de lui. Poursuivant sa logique d’intimidation, il prend son téléphone, s’éloigne pour que l’on ne puisse pas entendre la conversation…
À Bruxelles, personne ne monte dans la voiture pour signifier à Barthélémy Toguo qu’il doit descendre et le contrôleur ne reviendra pas de tout le voyage. Barthélémy Toguo finira son voyage seul, sans être importuné, dans une voiture 27 quasiment vide. Arrivé à Paris, gare du Nord, personne ne viendra contrôler son identité sur le quai.
Cette performance fait partie d’une série de huit intitulées “Transits”, réalisées de 1996 à 1999 dans des aéroports et des gares, des lieux de passage d’un continent à l’autre, d’une géographie à l’autre. Barthélémy Toguo continue à questionner l’altérité, l’hospitalité et la migration. Une partie de ses œuvres est présentée dans l’exposition collective “Persona grata” jusqu'au 20 janvier 2019 au musée de l’Histoire de l’immigration.