Pauses by Noise
Retrouvez-nous le jeudi, pour une Pause by Noise.
File d'attente
Samedi 14 h 30, quartier du Marais à Paris. Normalement, le week-end, c’est comme à la sortie du Stade de France : des centaines, des milliers de personnes envahissent la chaussée. Sauf qu’en ce premier jour de réouverture des commerces, il n’y a pas grand monde. Les magasins restent vides ou presque.
Pourtant, au loin, une bonne trentaine de clients patientent silencieusement sur le trottoir, devant la boutique Nespresso, une ancienne boulangerie-pâtisserie redesignée commerce de luxe. Des personnes de tous âges qui attendent sagement de pouvoir acheter le Graal en capsule. Beaucoup sont en couple. Pourquoi venir à deux pour acheter ses capsules de café ?
Que s’est-il passé, ces dernières années ? Les files d’attente, c’était pendant la crise de 1929, c’était le Paris occupé. C’étaient des Parisiens qui attendaient pour du pain, des œufs, du beurre. Le rationnement.
Mais là, des processions immobiles, quasi religieuses pour du café ? C’est un peu la magie de la file d’attente que l’on découvre : faire partie d’un groupe, d’un club, durant un moment. C’est rarement bavard, on ne vient pas là pour ça. Il faut dire que le masque anti-Covid n’arrange rien. Difficile d’engager la conversation. Alors on regarde son smartphone, on attend.
« Est-ce qu’il y en a qui vienne pour la collection Variation Linzer Torte ? » Et là, trois clients lèvent la main et se précipitent vers le vigile qui les accompagne en priorité dans le magasin.
Une femme en pull de cachemire mauve réagit aussitôt : « Je veux bien attendre mais si c’est comme à Eurodisney, ça ne va pas ! Personne n’est prioritaire ! »
Une file d’attente, ça questionne. C’est avoir sous les yeux du manque, de l’envie. Ça matérialise l’invisible, l’impalpable du désir. Qu’est-ce qu’ils attendent qu’ils n’ont pas ? Car bien évidemment, il ne s’agit pas que de café. La capsule, ce n’est que l’appât au bout de la ligne du pêcheur. Ce qu’ils attendent, c’est autre chose, certainement l’appartenance fantasmée à une élite, l’inaccessible…
Un livreur Deliveroo passe en vélo. « Alors, les Gringos, la forme ? Mais vous n’avez toujours pas compris ? Vous pouvez en acheter des cartons de capsules, mais vous ne serez jamais George Clooney ! »
Au secours ! les chasseurs reviennent !
« − Hé, chevreuil, dit le sanglier, tu as entendu la nouvelle ?
− Non, réponds le chevreuil.
− Les chasseurs, ils ont le droit de nous prélever !
− Prélever ? fait le chevreuil, une expression d’incompréhension dans son doux regard.
− Oui, nous tuer quoi ! ajoute le sanglier. C'est comme ça qu'ils disent dans leur langue. Pour ne pas nous faire de peine probablement.
− Mais je croyais que les humains ne pouvaient pas s’éloigner de leur domicile, dit le chevreuil.
− Les chasseurs, si ! »
Le renard qui passait par là, en quête d'une proie à se mettre sous la dent, s'approche.
« − Ça va, les gars ?
− Moyen, fait le chevreuil, on croyait être tranquille pour une fois grâce au confinement des humains, mais c'était trop beau !
− Que se passe-t-il ? dit le renard dont la curiosité légendaire est piquée.
− Faut croire que la Covid qui nous a débarrassé d'eux, il y a quelques mois, ne les concerne plus. Figure-toi que les chasseurs sont autorisés à nous chasser.
− Pas possible, s'affole le renard en regardant autour de lui comme si une nuée d'humains armés de fusils le tenaient en joue.
− Fait gaffe, rigole le sanglier qui conserve son humour légèrement relou, malgré l'adversité, en tant que nuisible tu es en première ligne !
− Nuisible toi-même, s'énerve le renard. Toi et tes pareils, il paraît que vous êtes beaucoup trop, que vous faites des ravages dans les champs cultivés. Les agriculteurs vous détestent et pensent qu'il faut absolument réduire votre population. Alors, c'est qui le nuisible ?
− Allons, allons, fait le chevreuil qui tente de calmer le jeu, personne n'est nuisible, c'est un truc des humains pour justifier leur comportement et se donner le droit de tuer certains d’entre nous, vous le savez bien. »
Le renard totalement abattu baisse la tête.
« − Je ne les comprendrai jamais ! Leur absence totale de logique me sidère !Et cette obstination à nous chasser alors que leurs magasins sont plein de nourriture. Moi quand je chasse, c'est pour manger, pas pour me divertir.
− Ah si tu étais végétarien comme moi, dit le chevreuil, ta vie serait plus simple !
− Vegan, le reprend le sanglier.
− Oui, vegan, tu as raison, admet le chevreuil.
− Moi, je suis flexitarien, se vante le sanglier content de lui, je m'adapte ! »
Le renard regarde ses deux copains, hoche la tête et sourit, une lueur ironique dans son œil doré.
« Sur ce, les amis, dit-il, je vais de ce pas chercher un bon terrier et laisser passer la crise. Je ne suis peut-être pas vegan, ni flexitarien, mais moi au moins je peux me planquer sous terre. »
Le renard se met aussitôt à courir, laissant les deux compères à leurs amères réflexions sur le genre humain.
Ce qui est essentiel...
Pour résumer donc, acheter des chaussettes en laine chez Monoprix, oui ! Mais une chemise au rayon homme, non ! Une lime à ongles orange, oui ! Du rouge à lèvres, non ! Un gâteau pour quatre, oui ! Mais un gâteau pour huit, il semblerait que ça pose problème !
« — Bonjour Monsieur, vous venez d’acheter un gâteau pour huit… Vous avez six enfants ? — Euh, non ! — Eh bien Monsieur, je me vois dans l’obligation de vous verbaliser. Vous n’êtes pas sans savoir que les dîners entre amis sont interdits ! »
Une bouteille de vin chez le caviste, oui ! Mais se réjouir à l’idée d’acheter « Mémoire de fille » d’Annie Ernaux à la librairie du quartier, c’est absolument interdit, parce que pas essentiel du tout. Limite à ce que l’on vous considère comme un dangereux déviant et que l’on vous foudroie avec un lance flamme comme dans « Fahrenheit 451 », le film de Truffaut d’après le roman de SF de Ray Bradbury.
Une fille de 14 ans qui est au collège en 3e, pas de demi-classe et le repas de midi à la cantine supprimé. Mais elle peut continuer la piscine le lundi en fin de journée, avec l’association sportive de l'établissement.
Un garçon plus âgé qui vient de rentrer en école d’ingénieur à Cergy-Pontoise… enfin, il vient plutôt de sortir après trois semaines de cours chaotiques. Tout à distance, plus de resto U, plus d’associations, plus de soirées, plus de rencontre entre jeunes. Il a 19 ans.
Le même qui veux passer son permis de conduire… « Mais tout à fait, l’examen du permis est maintenu pendant le confinement. Un détail toutefois pour les leçons de conduite, et il en faudra une bonne vingtaine, elles sont interdites ! »
La chasse au sanglier et au chevreuil oui, bien sûr, mais la pêche au brochet en rivière, pas possible ! À Paris, prendre le métro sur la ligne 13, où l’on est collé-serré, oui, sans problème ! Mais pratiquer le surf à Biarritz, seul au milieu de l’océan, non !
Et puis nouvelle allocution du président Macron, toujours un peu paternaliste. « Bon, c’est bien, vous avez été raisonnables, le dernier week-end de novembre, l’étau va se desserrer ». Les commerces non essentiels vont pouvoir rouvrir… mais pas tous.
Et pour les restaurateurs ? Et pour les étudiants ? Les premiers attendront janvier, si tout se passe bien. Les seconds attendront février et fermeront le bal des réouvertures. Les crêpes de la Chandeleur auront un goût d’espoir… on garde le moral !
« Bien évidemment que la terre est plate ! »
Pour eux, c’est une évidence ! Eux, ce sont les platistes et ils sont de plus en plus nombreux dans le monde à penser que la terre est plate comme une pizza.
En clair, la terre, c’est un disque sur lequel on aurait collé un planisphère, avec au centre, le pôle Nord. Tout autour, l’Antarctique qui forme une barrière de glace empêchant l’eau des océans de déborder. Avec au-dessus, une sorte de cloche à fromage dans laquelle tournent le soleil, la lune, les astres.
La communauté platiste n’est pas née d’hier : l’organisation la plus connue, La Flat Earth Society, a été officiellement fondée en 1956 en Angleterre. Pendant des années, elle a vivoté. Elle comptait péniblement 3 000 membres avant de tomber dans l’oubli dans le courant des années 1980. Mais depuis le tournant du 21e siècle, elle renaît et se développe grâce aux réseaux sociaux.
Aujourd’hui, 12 millions d’Américains pensent que la terre n’est pas ronde. On parle même de 9 % de Français. Sur Google, les recherches contenant comme mot clé « terre plate » ont triplé en quatre ans.
Pour le platiste, le principal argument reste la planéité de l’horizon. « Tu regardes au loin, même très loin, c’est horizontal, toujours, non ? C’est bien la preuve que la terre est plate. » C’est vrai qu’à part les astronautes, rares sont les personnes à avoir vu la terre de loin comme une sphère.
Et comme, pour le platiste, la conquête spatiale n’est qu’un complot destiner à soutirer l’argent des contribuables. Que depuis le premier pas de l’homme sur la lune, en 1969, on parle de mise en scène, d’images truquées dans les studios d’Hollywood. Eh bien, la terre reste plate !
De toutes les façons, les platistes ont une vérité toute simple : « Oui, le soleil, la lune, les astres sont ronds mais si la terre est plate, bien évidement que cela signifie que nous sommes une exception dans l’univers, et cette exception n’a pu être créée… que par un être supérieur. » CQFD.
On nous dit que près de Washington, sur le green du golf de Sterling cher à Donald Trump, cette balle de golf aurait dû rentrer sans dévier au trou numéro 7, vu que la terre est plate ! Impitoyable vérité !
Le meilleur président golfeur
On se souvient de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidentielle de 1974, et du documentaire « Une partie de campagne » de Raymond Depardon. Le futur président avait été bluffé par la primaire de John Fitzgerald Kennedy, dans le mythique « Primary » de Richard Leacock, en 1960...
Giscard rêvait d’être lui aussi immortalisé sur la pellicule, conscient de la possibilité de l’emporter contre François Mitterrand, le candidat de la gauche. La scène finale où vers 19 heures, il s’isole au palais du Louvre dans son appartement de fonction du ministère des Finances. Il attend sur la terrasse le résultat des votes à la télévision. Le téléphone sonne enfin, il est élu. Il se lève et part en voiture, seul. Une autre époque.
C’est à cette scène que l’on pensait, samedi dernier, en découvrant les résultats de l’élection américaine. Joe Biden venait d’être élu président des États-Unis. Le sourire et le poing rageur de ce monsieur de bientôt 78 ans que Donald Trump, âgé lui de 74 ans, a régulièrement affublé du surnom de Sleepy Joe. Joe l’endormi. Avec des variantes, Crazy Joe Biden, Sleepy Creepy Joe, O Biden, China Joe, Corrupt Joe, Slox Joe, 1% Joe, Joe Hiden… Pas besoin d’être bilingue pour comprendre le besoin de Trump de rabaisser toujours plus son adversaire qu’il considère comme un ennemi. Joe Biden venait d’être élu 46e président des États-Unis.
Pendant que ses supporters laissaient éclater leur joie dans les rues de New York, de Washington et de biens d’autres villes encore, Donald Trump, comme souvent, faisait du golf à Sterling en Virginie. C’est là qu’on lui annonça qu’il avait perdu. Quatre heures plus tard, il rejoignait la Maison Blanche et envoyait un tweet rageur. « J’ai gagné cette élection, de loin ! » En lettres capitales.
« Le réel, c’est quand on se cogne », disait le psychanalyste Jacques Lacan. Et c’est bien tout le problème. Donald Trump a toujours eu cette capacité à se créer un univers parallèle où la réalité est de plus en plus distante. Cette élection, il l’a bien évidemment gagnée. Peu importe le comptage des bulletins de vote, comment cela pourrait-il en être autrement ?!
Selon un magazine spécialisé, Donald Trump a été élu « meilleur président golfeur des États-Unis ». Ce samedi 7 novembre, c’était la 284e fois depuis son investiture en 2016, qu’il rejoignait les greens de Virginie. Tous les cinq jours à peu près ! Les spécialistes le confirment, Donald Trump est bien meilleur sur un “drive” de 200 mètres que Barack Obama, son prédécesseur à la Maison Blanche.
Le musée Madame Tussauds, à Londres, connu pour ses statues en cire hyperréalistes de célébrités, a « rendu hommage » au président golfeur en changeant sa tenue. Le toujours milliardaire mais ex-président apparaît maintenant avec sa légendaire casquette rouge « Make America Great Again» et sa tenue de golf du plus bel effet.
Elles sont passées par là…
C’est peut-être ce qui nous avait le plus troublés, de découvrir ces mains sur les parois des grottes. Ce besoin pour l’homme préhistorique de se relever, pour marquer de sa main, son passage.
Souvent, ce sont des mains négatives et non des traces. L’homme posait sa main sur la pierre et projetait un mélange coloré à base d’argile rouge, sans doute à l’aide d’un morceau de bois creux. Une technique que les spécialistes ont observée dans des grottes ou des abris situés sur tous les continents habités.
Et puis, ces dernières années, on a commencé à faire des mesures. On s’est posé une question simple, très simple : « Mais qui a réalisé ces mains négatives ? Des hommes, des femmes ? » Car tout prouverait que plus de 75 % de ces mains sont celles de femmes.
Les paléontologues ont poussé leurs recherches. Et là surprise, tous les scientifiques montrent que les femmes étaient beaucoup plus impliquées dans la vie quotidienne qu’on ne l’imaginait. Par exemple, une femme préhistorique chassait, tout comme l’homme. On a retrouvé quantité d’os qui indiquent qu’elles avaient un bras droit plus développé, et qu’elles utilisaient une lance pour tuer des animaux.
Mais alors, comment expliquer cette vision virilo-centrée de l’histoire ?
Au XIXe siècle, les premiers paléontologues et archéologues étaient des hommes, qui sans trop se poser de questions, ont calqué sur la préhistoire, les systèmes de répartition des tâches de leur époque. Il était évident que les femmes devaient préparer à manger et s’occuper des enfants et que les hommes partaient chasser le mammouth et étaient des héros. Ils savaient, eux, tailler avec précision des silex pour confectionner des armes et peignaient les grottes de Lascaux ou de Chauvet. Ce sont ces représentations qui ont nourri l’imaginaire collectif.
Il a fallu attendre les années 1980 pour que l’on commence à voir les choses autrement. La féminisation du métier de paléontologue comme d’archéologue et l’apparition de nouvelles technologies ont permis un autre regard.
Et là, les stéréotypes et les idées reçues se sont retrouvés mis à mal. Non, dans le fond de la grotte, la femme n’était pas là uniquement pour “passer le balai”. Oui, il y a de fortes chances pour que ce soit en majorité des femmes qui aient peint les parois des grottes. Ce qui pourrait vouloir dire que ces sociétés préhistoriques étaient peut-être plus égalitaires que nos sociétés contemporaines ?
« Oh là, là, cher Monsieur, pas de précipitation dans vos conclusions… on va en rester aux mains sur les murs, oui sans doute peintes par des femmes ! »
Exponentiel, c’est quoi ?
Deuxième vague de Covid-19 et ça ne faiblit pas. Couvre-feu, tests, applications en tout genre, et ça ne faiblit pas. Et pour une raison simple, c’est que la progression du virus est exponentielle.
« — Tu veux dire que ça va vite, c’est ça ? »
« — Oui et non, car ce n’est pas qu’une histoire de vitesse. Je vais essayer de t’expliquer avec une image. Tu es en haut d’une montagne et tu jettes une boule de neige devant toi, allez, disons de la taille d’une orange. Elle descend vite, de plus en plus vite, mais surtout elle grossit à vue d’œil. Elle devient énorme, au point de déclencher une avalanche. C’est ce que l’on est en train de vivre avec ce virus. »
« — Ouais, OK, mais c’est quand même une histoire de vitesse, non ? Ça devient gros parce que ça va vite. »
« — Prenons un autre exemple qui est un classique en mathématiques, la légende de Sissa. Là, on n’est pas en haut des pistes des Deux-Alpes, mais en Inde. On a un roi, Belkib, qui broie du noir. Cela fait des mois et des mois qu’il s’ennuie.
Et il demande qu’on lui invente un jeu pour le distraire. Un sage, Sissa, entend parler de cette histoire et vient proposer au roi, un jeu d’échecs. Le roi est conquis et pour remercier Sissa, il lui demande de choisir une récompense, quelle qu’elle soit. »
« — Si vous en êtes d’accord Majesté, prenez le plateau d’échecs, posez un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, et vous doublez le nombre de grains de riz à chaque nouvelle case. Je prendrai les grains de riz qu’il y aura sur tout le plateau. Le Roi sourit de cette demande qui lui paraît bien modeste.
Mais lorsque les serviteurs commencent à mettre en œuvre la proposition de Sissa, ils comprennent rapidement que cette récompense va précipiter le Royaume dans la ruine et qu’il n’y aura jamais assez de riz pour satisfaire la demande de Sissa. »
On part d’un seul grain de riz posé sur la première case et quand en multipliant toujours par 2 on arrive à la case 64, on se retrouve avec un total de 18 446 744 073 709 551 615 grains, soit plus de 18 milliards de milliards de grains. Ce qui représente plus ou moins 720 000 millions de tonnes soit 1 000 ans de production mondiale de riz !
C’est ça, la logique exponentielle et c’est explosif. C’est ce à quoi nous sommes confrontés, aujourd’hui. Il ne faut jamais jouer avec, on est toujours perdant.
Le triangle des Bermudes du vélo
Regard sombre du lundi matin pour Régis. Tout le monde a bien remarqué qu’il n’avait pas sa pince à pantalon rouge fluo. « M’en parlez-pas, samedi après-midi, j’avais rendez-vous au cinéma MK2 quai de Loire. Et en sortant de la séance, plus de vélo. Disparu, envolé. »
Et de poursuivre : « C’est après, qu’on m’en a parlé. Je savais pas. Y’a un triangle des Bermudes à Paris, en gros c’est le secteur Riquet/Stalingrad/Jaurès. Tu poses ton vélo près du canal de l’Ourcq, et là, c’est un phénomène de dingue, genre cosmo-tellurique, ton vélo il passe pas la journée. Il disparaît ! »
Gros, gros problème parisien où la pratique du vélo a “explosé” depuis la sortie du confinement, en mai dernier. On parle de 70 % de bicyclettes en plus dans la ville. Beaucoup d’habitants la préfèrent désormais au métro. Moins de risque d’attraper la Covid-19. Tout le monde achète un vélo. En boutique, ils n’ont plus de stock. Et logiquement, moins de vélos à vendre, c’est plus de vélos à voler.
La Préfecture de police de Paris a annoncé que depuis 2019, 17 vélos sont volés chaque jour dans la capitale. Et sans doute beaucoup plus, car peu de cyclistes se déplacent pour porter plainte. Cet engouement pour la bicyclette dans les grandes agglomérations, ça va mettre du temps à se réguler. Certains prédisent cinq ans, peut-être dix.
Et Régis de parler de son tracker :
« — J’ai vu ça à Berlin. Tu poses un trackers GPS sur ton vélo, comme ça la police peut potentiellement remonter les filières de voleurs. Moi, j’en avais mis un qui ressemble à une lampe. Alors, en sortant du cinéma, j’ai suivi mon vélo sur mon portable. Il était à Saint-Ouen avant de se retrouver sur l’autoroute A1. Qu’est-ce que tu veux faire ! Je vais racheter un vélo.
— Eh bien moi, l’an dernier, je me suis fait voler trois vélos. Alors, j’essaie d’être au plus juste sur le modèle… Ni trop neuf pour pas trop faire envie. Ni trop pourri pour qu’il roule bien. Je dépense entre 50 et 75 euros sur le Bon Coin. Mais maintenant que j’y pense, c’est vrai que pour le dernier, je me suis demandé si le mec ne venait pas de le voler, le matin même ! »
Ça ruisselle !
« On est les champions, on est les champions, on est, on est, on est les champions ! » Trompettes, tambours, et mains en l’air ! C’est réconfortant, en ces temps incertains, d’apprendre que la France est le pays où la fortune des milliardaires a le plus progressé depuis un an.
Et là, logiquement, on repense à la théorie du ruissellement et on se dit que ça va ruisseler à gros bouillon, que c’est une inondation diluvienne à laquelle il faut s’attendre…
Tout ça a commencé au début des années 1980, avec le tournant triomphant du néolibéralisme porté par Margaret Thatcher, Premier ministre de Grande-Bretagne, et Ronald Reagan, 40e président des États-Unis.
La doctrine d’alors, très ancien monde ! « Accorder des réductions d’impôts aux tranches supérieures, aux individus les plus riches et aux plus grandes entreprises, et laisser les bons effets économiques de la consommation et des investissements “ruisseler”. Tout le monde en profitera. » C’était simple, non ? Puisque qu’on vous le dit, « laissez les riches gagner de l’argent et faites-leur confiance ».
Arrive le nouveau monde, dans les bagages d’Emmanuel Macron, élu président en 2017. Et vous savez quoi ? Histoire de réveiller cette France endormie, on réinvente le ruissellement avec, entre autres, la suppression de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune. Re-trompettes !
La première fois que l’on a entendu parler du ruissellement, c’est l’image des pyramides de coupes de champagne qui nous est apparue. Quand on verse le vin pétillant dans la coupe la plus haute, et qu’il ruisselle jusqu’aux autres coupes tout en bas.
Sauf que près de quarante ans plus tard, les économistes n’ont toujours pas réussi à trouver le début d’un commencement d’effet. Le ruissellement n’a jamais provoqué la réaction en chaîne vertueuse escomptée. Ce que l’on constate est plutôt confondant de simplicité : plus vous donnez aux riches, plus ils s’enrichissent. Un point, c’est tout.
Le seul impact quantifiable scientifiquement, c’est l’augmentation des dividendes versés à 1% de la population, et surtout aux plus riches, le fameux 0,1 %.
« Vous savez, cher monsieur, ruisseler, ça prend du temps. En attendant, allez, champagne pour tout le monde ! »
Pas sans mon livre !
Au printemps dernier, nombre d’observateurs économiques avaient tiré un trait sur les milliers de petits libraires qui, disaient-ils ne s’étaient pas vraiment battus pour le maintien de leur activité.
« C’est clair, le confinement n’a fait qu’accélérer une tendance numérique qui se dessinait depuis longtemps, croyaient savoir ces Cassandre. C’en est terminé des petites librairies de l’ancien monde. Le nouveau monde, c’est Amazon et le commerce en ligne… La page est bien tournée. » En effet, en deux mois de confinement, les libraires ont perdu 95 % de leur chiffre d’affaires.
Et puis arrive le 11 mai et le déconfinement. Et là surprise, énorme surprise, les gens se sont précipités dans les librairies. Les salles de cinéma sont restées vides, les salles de concert n’ont pas eu le droit de rouvrir, les musées n’ont pas eu de touristes… mais les librairies, elles, se sont remplies.
Par rapport à 2019, le mois de mai a enregistré + 100 % de ventes de livres. Du jamais vu, en cette période de l’année !
Alors on se dit que c’est forcément passager, que les lecteurs voulaient rattraper leur sevrage forcé. Eh bien, non ! L’augmentation des ventes se poursuit depuis.
D’après les chiffres du Syndicat de la librairie française, les libraires ont même quasiment rattrapé leur manque à gagner dû au confinement.
Phénomène notable : plus la librairie est petite, plus ses affaires sont florissantes. « Et vous expliquez ça comment ? » Certainement un risque sanitaire limité. Moins de gens, moins de risque de contamination. Certainement aussi, une histoire de vase communiquant, le budget consacré aux sorties cinéma ou théâtre s’est reporté sur les livres.
Ensuite, les lecteurs ont donné de l’importance à l’achat engagé et citoyen. « Je préfère acheter dans la librairie près de chez moi, je participe ainsi à la vie de mon quartier. » Et puis le côté humain. « Les conseils de mon libraire m’ont manqué, nos discussions aussi, pendant le confinement. » Enfin, il y a quelque chose de rassurant dans le livre. Comme une valeur sûre qui fait du bien.
Sept mois après le début de cette crise sanitaire, personne n’est en mesure de dire comment les choses peuvent évoluer, mais une chose se confirme : le livre réserve de belles surprises.
En somme, le « monde d’après »… peut-être. Mais pas sans mon livre !
Betteraves ou abeilles, qui survivra ?
On ne s’est jamais trop posé de questions. On était dans le train, les cheveux dans le vent, et le train avançait vite. Et puis au tournant du 21e siècle, les sirènes ont commencé à siffler fort, très fort. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». C’était il y a vingt ans.
Le train n’a pas ralenti ! Les prévisions alarmistes des scientifiques se vérifient. De tous côtés, tout s’embrase. Depuis vingt-cinq ans, c’est 75 % des insectes qui ont disparu, sans parler des oiseaux et autres vertébrés.
« On ne va pas pleurer pour des moustiques, quand même ! » Mais lorsque des apiculteurs retrouvent leurs ruches remplies d’abeilles mortes, il s’agit bien d’une extinction massive aux conséquences dramatiques, annoncées et documentées.
En septembre 2018, le gouvernement a prohibé l’usage des néonicotinoïdes. Ce sont des insecticides, tueurs d’abeilles avérés, car ils perturbent leur système nerveux central. Sauf qu’aujourd’hui certains agriculteurs, privés de leurs habitudes, ne voient plus cette décision d’un bon œil. Par exemple, les betteraviers picards réclament la réintroduction, même provisoire, de ces pesticides pour pouvoir endiguer les invasions de pucerons, propagateurs de la jaunisse de la betterave.
Alors on fait quoi ? C’est soit la betterave, soit l’abeille ! Autrement dit, le travail ou la planète ! Le gouvernement a tranché et un projet de loi prévoit de satisfaire la demande des betteraviers… “provisoirement”.
« Mais Monsieur, il y a 46 000 emplois qui sont en jeu. Vous croyez que l’on a besoin de ça en ce moment ? ». « Vous pensez que l’on peut se priver de la filière sucre ? » C’est toute la question. Derrière cette histoire de petits insectes face à l’homme, c’est un dilemme qui réapparait régulièrement. Repousser éternellement nos responsabilités vis-à-vis de la nature.
« S’il y a un peu moins de miel l’été prochain, c’est pas grave, on mettra de la confiture sur nos tartines… » Sauf que ! Plus d’insectes pollinisateurs, et c’est toute la chaîne de reproduction qui s’écroule. Hé oui ! 85 % des plantes comestibles dépendent de la pollinisation par les abeilles. Plus de fruits, plus de légumes. Les producteurs disparaîtront. Et ce n’est qu’une étape.
Alors, on a comme un pressentiment : c’est aussi la confiture qu’il va falloir remplacer !
Avoir 20 ans en 2020
Quand on a 15 ans, on s’impatiente d’en avoir 20. Passé la cinquantaine, c’est parfois la nostalgie qui domine. Mais avoir 20 ans, à l’ère de la Covid-19, c’est autre chose.
Les années 1970 prônaient la liberté de parole, la liberté de disposer de son corps, la liberté d’exister et de s’épanouir dans une société bourgeoise sclérosée qui avait connu la guerre et les privations. Cette société ne laissait que peu de place à une jeunesse qui étouffait et qui voulait « jouir sans entrave », qui voulait « interdire d’interdire ».
Aujourd’hui, cette génération a 70 ans. L’esprit jeune, elle profite de sa retraite.
Mais, cet hiver, un virus a traversé la planète comme une traînée de poudre. Touchant principalement les plus âgés et les plus fragiles. Alors, pour les protéger, la France a été “confinée” au printemps. Concrètement, on a interdit aux jeunes gens de vivre pour que les vieux ne meurent pas.
C’était le prix à payer. Plus de fêtes nocturnes, plus de festivals, plus de discothèques, plus de bars, plus de contacts. En mai, lors du déconfinement, les étudiants n’ont pas retrouvé leurs établissements, alors que la société reprenait vie. Les cours à distance ont été instaurés. Toute une génération a dû se comporter comme si elle était malade.
Et cela est allé plus loin encore. Cursus suspendus. Erasmus à la trappe. Plus de stages de fin d’année, plus de petits boulots pour payer les études, plus de jobs d’été. La précarité dans le monde étudiant s’est installée. Mais tout ça n’était qu’une première étape.
Aujourd’hui, les banques sont de plus en plus frileuses pour octroyer des prêts étudiants. Les entreprises ont la tentation de ne proposer que des salaires à la baisse. Plus d’emplois durables.
Même la tenue vestimentaire pose problème. « Pas de crop top à l’école ! » D’aucuns affirment, en effet, que ce n’est pas une “tenue républicaine” !
En quelques mois, et sans le dire ouvertement, la société française semble avoir fait le choix de sacrifier une génération entière au profit d’une autre en fin de course.
Tout le monde perçoit bien qu’en ce début d’automne, l’horizon reste incertain. Les masques tombent, certains craignent un conflit de génération qui serait catastrophique.
« La deuxième vague de Covid-19 qui se profile, c’est à cause des jeunes, ils font n’importe quoi ! » entend-on. Mais jusqu’où les jeunes seront-ils prêts à se sacrifier ?
Cinquante ans après, les filles et les garçons de 20 ans ne demandent pas l’impossible, loin de là : ils souhaitent juste pouvoir vivre leur âge. Raisonnables en somme !
Vous avez tout vu !
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