Pauses by Noise
Retrouvez-nous le jeudi, pour une Pause by Noise.
Les 53 minutes du Petit Prince
C’est pas cool pour le Petit Prince ! Le dernier super porte-conteneurs français a été baptisé du nom de son auteur, Le Saint-Exupéry !
On veut bien faire des efforts pour ré-enchanter le monde, mais redonner de la poésie sur les océans du globe avec des colosses d’acier : Le Bougainville, Le Marco Polo, Le Jules Verne… Aujourd’hui, il y a près de 5 000 de ces navires gigantesques qui transportent 16 millions de boîtes.
Les chiffres sont impressionnants. Le Saint-Exupéry, c’est 400 mètres de long et 59 mètres de large, soit le plus gros porte-conteneurs jamais construit par un armateur français, en l’occurrence CMA CGM. Il peut transporter jusqu’à 20 600 conteneurs. Si l’on prend la totalité de ces boîtes métalliques et qu’on les aligne, cela représente un ruban de… 123 kilomètres.
Ces monstres des mers sont loin d’être complètement écologiques, puisqu’en termes de pollution soufrée, les 15 plus gros navires voyageant sur les océans répandent plus de soufre que le milliard de voitures en circulation sur la planète !
Paradoxe : l’inauguration en grande pompe du Saint-Exupéry au Havre, en présence des ministres français de l’Économie et des Transports, a eu lieu la semaine où Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a claqué la porte du gouvernement. Son commentaire : “Alors bien sûr que c’est une super performance technologique, comment le nier ! Mais est-ce bon pour la planète ? La réponse est non !”
Avec le néolibéralisme des années 1980, le conteneur est devenu le symbole de la mondialisation. Aujourd’hui, c’est 90 % des produits du quotidien occidental qui transitent par les mers…
L’invention du conteneur date du milieu du XXe siècle, mais c’est avec la guerre du Vietnam que sont utilisation va se généraliser. Avant, les marchandises étaient transportées en vrac… on chargeait, on déchargeait, c’était très long. Un bateau passait 50 % de son temps à quai. Aujourd’hui, il est en mer 90 % du temps. Le conteneur a changé le monde. On ne transporte plus des marchandises, on transporte des conteneurs. On gagne du temps.
Gagner du temps, le Petit Prince en parlait avec le marchand.
“Bonjour”, dit le petit prince. C’était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.
“Pourquoi vends-tu ça ?” dit le petit prince.
“C’est une grosse économie de temps”, dit le marchand. “Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.”
“Et que fait-on de cinquante-trois minute ?”
“On en fait ce que l’on veut...”
“Moi, dit le petit prince, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais doucement vers une fontaine...”
Le feu se propage
Au départ, c’est quasiment rien. Un détail, qui pourtant va allumer la mèche et provoquer une déflagration.
Au Chili, c’est le ticket de métro qui augmente de 30 centimes. En Inde, ce sont les oignons… les inondations de ces derniers mois ont eu comme conséquence de tripler voir de quadrupler le prix de l’oignon qui est l’aliment de base pour la population la plus pauvre.
Depuis quelques semaines, ce sont des milliers de Libanais qui sont dans les rues de Beyrouth et de Tripoli, au départ pour protester contre un projet de taxe sur WhatsApp et à présent pour dénoncer la corruption des dirigeants politiques.
En France, il y a les Giles jaunes qui expriment leur colère depuis une année. Dernièrement, ce sont les étudiants qui manifestent pour alerter sur leur précarité et les personnels hospitaliers qui se mettent en grève pour réclamer plus de moyens.
A chaque fois, un détail, une goutte d’eau qui fait basculer la foule. À première vue, on pourrait se demander : “Mais qu’est-ce que c’est que ce chaos partout dans le monde ?”
Et ça continue ailleurs. Au Soudan, le prix du pain a triplé. En Equateur, l’annonce de la fin des subventions sur les carburants a fait bondir les prix à la pompe de plus de 100 %. Et puis encore à Hong Kong, en Irak, à Barcelone, en Egypte, en Algérie, à Haïti, en Bolivie, au Venezuela, en Guinée. En Arabie Saoudite, le gouvernement a voulu s’en prendre au narguilé.
« — Le Chili et Hong Kong ! Ça n’a pourtant rien à voir, non ?
— Tu oublies juste le 11 septembre !
— Mais qu’est-ce que ça vient faire, le 11 septembre ?
— NYC bien sûr… mais il en existe un autre : le 11 septembre 1973 au Chili, c’est Pinochet qui renverse Allende et plonge le pays dans quinze ans de dictature avec l’appui de la CIA et l’arrivée d’économistes chiliens formés à l’université de Chicago, les bien nommés “Chigago boys”. Mais c’est aussi la naissance du néolibéralisme à marche forcée, un bulldozer économique qui va tout écraser ! C’est TINA, le slogan de Margaret Thatcher, la dame de fer du Royaume-Uni : “There is no alternative”. Circulez il n’y a rien à contester, rien à dire. Alors les gens baissent la tête. »
Cela fait plus de trente ans que partout dans le monde, ça se fissure pour les mêmes raisons : le pouvoir d’achat qui ne permet plus de vivre, l’accroissement des inégalités sociales, la précarité, le rejet massif d’une classe politique perçue comme privilégiée et déconnectée de la réalité. L’uberisation de la société. Alors la contestation devient contagieuse…
Et partout la même réponse. Dans un premier temps, les responsables politiques font machine arrière en suspendant ou retirant, ce qui a mis le feu, sauf qu’il est souvent trop tard. Le pouvoir en place découvre que le malaise est beaucoup plus profond. Alors pour mater la colère, on envoie la police pour une répression massive. La porte est entrouverte, il y a peut-être une alternative !
"Les monstres, ça n’existe pas !"
Adèle Haenel, on l’avait follement aimé dans le film de Robin Campillo, « 120 battements par minutes », en militante d’Act Up, au milieu des années 1980. Mais lundi soir, dans le live de Mediapart avec Edwy Plenel, ce que l’on a vécu, c’est tout autre chose. C’est un moment médiatique comme on en voit peu. Un basculement.
Pendant une heure, Adèle Haenel parle d’attouchements et de harcèlement sexuel, quand elle avait entre 12 et 15 ans. En 2002 repérée lors d’un casting, elle tourne son tout premier film, « Les Diables », réalisé par Christophe Ruggia. Durant une année, semaine après semaine, le metteur en scène va la tenir sous son emprise.
En avril de cette année, elle en parle à la journaliste de Mediapart, Marine Turchi, qui commence alors un long travail d’enquête pour retrouver des témoins et des preuves qui confirmeront les faits.
Lundi soir, nerveuse, Adèle Haenel, 30 ans, exprime sa colère, parle de sa décision de prendre la parole après tant d’années de silence. « J’ai vu récemment un documentaire sur Michael Jackson (“Leaving Neverland”, ndlr), qui m’a fait changer de perspective sur ce que j’ai vécu. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas que d’une histoire privée, mais que c’était une histoire publique. »
Pendant une heure, elle va détailler, expliquer, parler des mécanismes qui se mettent en place, des corps maltraités, humiliés. Elle parle de cette société française qui n’écoute pas les femmes. « Il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire. La justice doit se remettre en question. Il y a tellement de femmes que l’on envoie se faire broyer. » C’est plus d’une femme sur cinq qui avoue subir ou avoir subi des violences sexuelles.
Elle prend la parole, aujourd’hui, en combattante. Ce sont les mains d’Adèle Haenel qui se crispent. La peau du visage qui gratte. La mâchoire qui, par moment, se bloque quand les mots ne sortent pas. Mais ce sont surtout ses yeux, fatigués d’une colère contenue depuis tant d’années. Un regard d’une extrême puissance.
Alors bien sûr qu’Adèle Haenel est une personnalité publique, une actrice connue et reconnue, célèbre. Elle le sait et parle pour toutes les femmes qui ne peuvent le faire. « Aujourd’hui, c’est une responsabilité pour moi, parce que je suis en mesure de le faire, parce que je travaille suffisamment… »
Il faut écouter les mots d’Adèle Haenel pour mesurer la force de son propos. Ecouter, tétanisé devant l’écran, ce que l’actrice dit de la société, du rapport des hommes et des femmes. « Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société, c’est nous, c’est nos amis, c’est nos pères. C’est ça qu’on doit regarder. »
Au bout d’une heure, elle sortira de sa poche et lira une lettre qu’elle a adressé à son père qui lui conseillait de se taire. Juste l’envie d’écouter en silence les mots de l'évidence que chacun prend en pleine gueule.
« L’immobilité se nourrit de la peur. Et c’est ce qui peut pourrir les familles. » Quelque chose a basculé en ce début novembre 2019. Un moment Adèle Haenel…
Le bio, c'est bon. Vraiment ?
Roulements de tambour, trompettes, paillettes et projecteurs : le bio est la star du moment. On ne parle, on ne jure plus que par le bio.
Déferlante du bio qui n’est plus réservé aux bobos fréquentant les enseignes spécialisées, non, aujourd’hui, plus de la moitié des ventes de produits bio se font en grandes surfaces.
Sauf qu’au supermarché, au rayon bio, on s’est tous posé la question devant un légume plastifié : « Et les mecs, rassurez moi, les courgettes ne sortent pas de terre recouvertes d’un préservatif, non ? Je fais l’effort d’acheter du bio et je me retrouve avec un emballage ou une barquette plastique, tout ça pour différencier le légume bio du non bio en libre service ! ».
Autre confusion sur les conditions de production du bio. « Je vais te dire, moi, quand j’achète des tomates bio, c’est un peu comme si je parlais avec le paysan de l’Aveyron qui les choisit pour moi… Et puis tu vois, la terre sur la tomate, c’est celle d’un jardin, d’un vrai jardin comme celui que ma grand-mère entretenait dans le Berry… Je sens que je fais un truc bien pour le paysan producteur, je fais un truc bien pour la planète. J’ai même l’impression d’être un peu militant, en achetant mes tomates à 12 euros le kilo. Je vote écolo, je mange bio… et tu vas trouver ça excessif, mais je me sens dans la peau du Jean Moulin de la résistance bio. »
Sauf que de partout, la demande explose, et il faut produire encore et toujours plus pour satisfaire le citadin et ses envies de nourriture saines. Et c’est là qu’on découvre que le bio, ce n’est pas que dans l’Aveyron ou le Berry, c’est même surtout beaucoup plus loin, très loin. Au Maroc, en Espagne où l’on a recouvert de serres des milliers d’hectares pour produire du bio toute l’année. Quitte à chauffer les cultures l’hiver et à éclairer quand la lumière zénithale n’est pas suffisante.
Bio, ça ne veut pas dire éthique. En Espagne, ce sont souvent des conditions de travail dégradées pour les milliers de saisonniers qui viennent des quatre coins du monde. L’industrie agroalimentaire, à l’odeur alléchée, s’est engouffrée dans la brèche comme le loup dans le bergerie. Certains parlent même d’agriculture bio industrielle.
A l’image de certains élevages bio de poules pondeuses qui respectent les directives européennes permettant l’attribution du précieux label. Espace pour chaque gallinacé, qualité du sol, nature de la ration alimentaire. Sauf que rien n’est précisé sur le nombre de volatiles… et l’on se retrouve, en Italie par exemple, avec des élevages certifiés bio, de plus de 100 000 poules. Bien loin de l’éleveur de l’Aveyron qui nourrit avec attention ses poules au maïs régional, pour avoir une belle couleur de jaune.
La prochaine étape, ça va être de s’attaquer au problème du trop. Le trop de tout. Alors, si on mangeait moins pour mieux manger ?
La récompense aléatoire
L’autre soir, on a revu avec plaisir “I comme Icare”, le thriller politique d’Henri Verneuil. On avait en tête la scène inspirée de l’expérience de Milgram mise au point dans les années 1960, permettant de tester un sujet à la soumission et à l’autorité.
La boîte de Skinner a été développée à Harvard dans les années 1930. On place une souris devant un distributeur de nourriture. La souris appuie sur le bouton, les graines tombent. La souris a faim, elle appuie sur le bouton, les graines tombent. Simple, la souris est maîtresse du dispositif, elle a parfaitement compris comment ça fonctionnait.
On perturbe maintenant le dispositif. Quand la souris appuie sur le bouton, tantôt les graines tombent, tantôt pas, tantôt beaucoup, tantôt très peu… la souris comprend vite qu’il y a un côté aléatoire à la récompense et qu’elle ne contrôle pas le dispositif.
Et là, ça coince, ça coince si fort que la souris appuie en permanence sur le bouton et devient complètement dépendante. Qu’elle soit rassasiée ou pas, elle continue à appuyer sur le bouton. C’est ce qui a donné naissance aux machines à sous dans les casinos et c’est aujourd’hui ce mécanisme de la récompense aléatoire qui est derrière un grand nombre de réseaux sociaux et d’applications, comme Facebook, Instagram, Twitter, Tinder ou autres…
Car pour ces réseaux sociaux qui ont accès à nos données personnelles et comportementales, capter l’attention des utilisateurs est devenu l’objectif principal. On peut parler d’une économie de l’attention. Ce n’est pas une simple évolution technologique, mais bien le fruit d’un modèle économique.
Toute la journée, les algorithmes de plus en plus puissants essaient d’attirer notre attention. « Non mais je ne comprends pas, cette photo sur Instagram n’a recueilli que 12 cœurs. Il faut que j’en poste une autre qui sera mieux appréciée… »
Cette obsession à capter notre attention a transformé nos smartphones en machines à sous de casino. J’aime/Je commente/Je partage… Comme la souris pour obtenir des graines du distributeur, nous appuyons toute la journée, n’ayant pas prise sur ce mécanisme de récompense.
Pas calmés du tout !
On a attaché le vélo sur le trottoir devant le collège, et puis on a attendu la sortie des enfants. « C’est votre petit-fils que vous êtes venu récupérer pour aller au parc ? »
On se retourne vers ce jeune père, sans doute graphiste, à voir le sac Freitag qu’il porte en bandoulière, en se disant qu’effectivement, personne ne fait plus trop la différence entre les pères et les grands-pères.
Alors c’est vrai qu’aujourd’hui, quand on a 50 ans, on ne ressemble pas du tout aux quinquas des années 1970. En près de cinquante ans, on a gagné plus de 15 années de vie. On a déplacé le curseur. Les cinquantenaires ont ainsi passé le seuil du demi-siècle, mais restent persuadés de n’avoir pas vieilli. Ils vivent avec un autre âge que le leur. À la fois quinquas et ados… et l’on a trouvé un qualificatif à coller sur leurs T-shirts Vans, ce sont des “quinquados”.
Le truc du quinquado, c’est qu’il n’est pas calmé, l’envie est toujours là. D’impatience en surprise, de découverte en terrain inconnu. On retrouve ce refus de la contrainte comme chez les ados. Une image d’immaturité sans Rolex obligatoire. Car il a passé un cap : plus de contrainte d’enfants, de maison à payer, de placement financier. Il va au travail parce qu’il aime toujours son boulot. Plus d’envie de couple solide qui a souvent explosé.
Le quinquado oublie naturellement qu’il discute dans ce bar du XIe arrondissement avec une jeune femme de 25 ans. Si on lui pose la question… « Non pourquoi, où est le problème ? Mais moi pareil, j’ai 30 ans, enfin, euh oui, je les ai eus, je les ai toujours. Il y a des jours, j’ai même 18 ans ! »
Le quinquado mange bio et fait du sport. Il y en a beaucoup qui ont un blocage avec la chirurgie esthétique. Super important de refuser le rajeunissement artificiel… Il suffit de mettre un short et d’aller courir le week-end. Le quinquado cherche à être en forme, d’ailleurs il est toujours en forme, toujours partant.
Alors c’est vrai que cette génération est née sans le chômage de masse ni les dérèglements climatiques, et cela a laissé des traces d’insouciance qu’on ne retrouve pas obligatoirement chez les plus jeunes, souvent inquiets de la vie que leurs parents leur laissent aujourd’hui.
Et les victimes collatérales, ce sont les vrais ados. C’est souvent difficile de se retrouver devant des parents habillés en miroir de soi. Et la fille exaspérée, de lancer à sa mère « Non mais, tu ne vas pas venir à la réunion parents/profs fringuée comme ça. Là, tu me fous juste la honte ! C’est pas possible, il faut vraiment te calmer sur les jupes en cuir ! »
Jeff Koons, un grand artiste !
Il est parfaitement habillé. Costume sombre Armani cintré, chemise blanche, rosette de la Légion d’Honneur. Et puis toujours ce sourire généreux offert à la demande. Voici donc à quoi ressemble Jeff Koons, l’artiste vivant le plus cher au monde.
Ce vendredi, à la veille de la Nuit blanche, l’Américain de 64 ans inaugure son « cadeau à la France » dans les jardins des Champs-Elysées derrière le Petit Palais : la monumentale sculpture Bouquet of Tulips. L’œuvre d’art de près de 13 m de haut pèse 34 tonnes de bronze, d’acier et d’aluminium. Elle repose sur un socle de 27 tonnes de calcaire d’Île-de-France.
Quoi ? On nous dit que Jeff Koons a été trader ? Oui, pourquoi pas… Jean Dubuffet était bien négociant en vin avant de devenir peintre. Effectivement, ce qui est troublant avec ce plasticien, c’est qu’aujourd’hui encore, il est toujours habillé en trader. Le fait de devenir artiste n’a rien changé à son look de golden boy de Wall Street.
D’ailleurs quand on parle de son travail, on ne parle que d’argent, combien ça coûte ! Et pour Bouquet of Tulips, qui va payer le coût de fabrication de 3,5 millions d’euros ? Car ce qui est « cadeau », c’est seulement le dessin de l’œuvre.
« — Ecoutez, ça suffit les reproches, on a la chance d’avoir l’un des plus grands artistes au monde qui offre une magnifique sculpture en hommage aux victimes des attentats de 2015 et 2016 en France, et ça se crispe, ça dénigre. Vous savez, c’est très compliqué à réaliser ces faux ballons en métal, ça coûte très cher à fabriquer. Alors vous pensez bien qu’à ce prix-là, l’œuvre est d’importance. »
« — Que l’on ne voit pas le pourquoi des tulipes en ballon et le côté enfantin ? Mais monsieur, ce sont des fleurs ! »
« — Que le plus logique aurait peut-être été d’installer cette œuvre en face de la salle du Bataclan ? Ecoutez, monsieur Koons souhaitait quelque chose de plus central, de plus prestigieux… c’est un grand artiste ! »
Trois ans après le début de la polémique – l’artiste avait d’abord souhaité que son œuvre soit installée entre le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et le Palais de Tokyo –, on regarde les photos du projet.
Un bouquet de onze tulipes en forme de ballons tenues par une main de femme. La douzième, manquante, évoque la perte de l’être cher, le souvenir… Alors on hésite, on se dit que ce n’est pas possible, qu’il ne peut pas y avoir que ça ! Ça ne peut pas être qu’un bonheur enfantin coloré ! Pas ça comme hommage aux jeunes du Bataclan. C’est quoi le truc caché ? On n’aura pas de réponse.
Jeff Koons apporte une précision d’importance : « Dans le pigment des tulipes, j’ai mis de la poudre de perle blanche qui adoucit la surface et crée des ransparences en mouvement permanent. » On est vraiment rassuré, Jeff Koons a un coeur…
À vrai dire, Jeff Koons n’a pas changé de métier, il travaille toujours dans la finance internationale et permet à de nombreux milliardaires de défiscaliser à tour de bras. Une défiscalisation à hauteur de 66 % en France, ce qui a effectivement permis la production de Bouquet of Tulips.
Mais c’est d’autant moins d’impôts qui ne sont pas rentrés dans les caisses de l’Etat… Donc, indirectement, ce sont en partie les Français qui ont financé l’œuvre généreusement « offerte ».
Une bonne partie de l’art contemporain a basculé dans autre chose. Yvon Lambert, le grand galeriste d'art contemporain, avait déclaré, lors de la fermeture de sa galerie parisienne. « J’arrête mon activité parce que mon métier a changé, il n’y a que le fric qui compte. »
Le marché de l’art contemporain a augmenté de 1 078 % en dix ans. L’art est devenu un support financier. Jeff Koons est un grand artiste.
Flip
Oh là là, on s’est fait une grosse frayeur. Rien de grave, c’est juste qu’en découvrant une pochette de disque chez un bouquiniste, un maxi 45 tours de New Order, on n’a pas su mettre un nom sur le graphiste…
… alors qu’on le connaît par coeur depuis que l’on est fan de la production de Factory Records, le célèbre label de Manchester. En gros depuis une quarantaine d’années.
« Non mais, c’est pas possible ! Je viens de perdre un morceau de cerveau, je n’arrive pas à retrouver le nom de ce mec ! » Et là, évidemment, on panique, persuadé d’être en phase numéro un d’Alzheimer. Et de découvrir qu’autour de nous, le phénomène devient courant.
« Je n’ai plus de mémoire, j’oublie tout ! » Comme si l’accélération généralisée qui déstabilise nos sociétés ne laissait plus le temps au cerveau de graver les infos qui nous semblent importantes.
Et puis l’on s’est souvenu du contexte qui avait entraîné cette grosse frayeur. C’était le lendemain d’un dîner où pour la première fois, quelqu’un évoquait avec certitude et effroi la fin prochaine de notre civilisation. Et Richard de terminer sa blanquette et de lâcher : « Ça y est, le processus est enclenché. Notre avenir est en train de disparaître : l’humanité ne durera pas éternellement ! »
Il nous a bien plombé la soirée, Richard. Sur le moment, on a cru qu’il blaguait, mais non, pas du tout. Et le lendemain donc, trou noir devant le disque. Comme si la mémoire défaillante allait de pair avec le « no future ».
On connaissait l’adage de Foch, le général : « Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. » Sauf que là, c’est tout l’inverse. C’est comme si comprenant qu’il n’y avait plus d’avenir, le passé commençait à disparaître. Le cauchemar où tu te retrouves coincé : ça s’effondre devant et t’as à peine le temps de te retourner que ça s’effondre aussi derrière. En gros, à quoi bon garder des souvenirs, puisque l’avenir n’est même plus envisageable !
De grosse frayeur, on est passé à une forme d’effroi métaphysique. Quoi faire alors ? On s’est dit que l’on allait prendre les choses une par une.
D’abord, on a vérifié pour le single « True Faith » de New Order : c’est bien évidemment Peter Saville, LE graphic designer qui a signé quantité de disques Factory et co-fondateur de ce label. Un minimalisme abyssal, une feuille morte sur un fond bleu sans le titre de la chanson ni le nom du groupe. C’était en 1987. Ce tube a été servi par le clip singulier de Philippe Decouflé peuplé de créatures étranges.
Ensuite, on va partir marcher en forêt, à l’écoute des bruits, des odeurs et des sensations, quand le vent souffle sur la peau.
Et pour la blanquette, on rajoutera un peu de vin blanc !
Les Bleus ont décroché “Le Monde”
“On est les champions, on est les champions…” 4-2. Deux étoiles. Vingt ans après, sitôt le coup de sifflet final, on a revécu les mêmes scènes de liesse qu’en 1998, lors de la finale de la Coupe du monde de football contre le Brésil, 3-0, première étoile.
Comme si rien n’avait changé, comme si l’allégresse de la victoire, le déferlement de joie emportaient tout sur leur passage. Le plaisir d’être ensemble, simplement. La rue comme terrain de fraternité. “Elle est belle cette France, elle a une belle couleur, on est tous fiers…” Sauf que vingt ans ont passé et que cette couleur-là, on ne la voit que dans le foot. À côté, rien ne bouge ou trop lentement…
On a envie d’en rester à des détails, des anecdotes qui parlent de la France d’aujourd’hui. Il y a quelques jours, c’est l’ancien président américain Barack Obama qui a porté un regard sur le triomphe des Bleus. “Regardez l’équipe de France qui vient de remporter la Coupe du monde, tous ces gars ne ressemblent pas à des Gaulois, mais ils sont français, ils sont français !”
Le foot reste un sport populaire. Combien de milliers de jeunes talentueux, pour un Kylian Mbappé, ou un Paul Pogba ? Il n’y a que les jeunes de banlieue qui sont prêts à tout sacrifier pour arriver au sommet. Ils n’ont rien à perdre.
Les élites intellectuelles, politiques ou économiques ne sont pas accueillantes à cette culture populaire, cette culture de masse. Ce qui fait la différence avec l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie. Ça avance, ça bouge. Mais il suffisait de regarder les stades. Beaucoup de Brésiliens dans les tribunes, d’Argentins, de Péruviens, d’Uruguayens.
Les Bleus ont descendu les Champs-Élysées. En 1998, le bus avait mis deux heures pour traverser la foule, une véritable communion. Lundi 16 juillet, le bus est passé à côté de la foule, il roulait à 10 km/h, sans s’arrêter, escorté par des dizaines de policiers. La prestation aura duré 12 minutes. La tentation sécuritaire s’est imposée partout et peut-être aussi celle du JT de 20 heures.
Vingt ans après, et malgré l’arrivée massive du numérique, la presse reste encore le support privilégié de l’émotion. On achète le journal de la victoire. En 1998, “L’Équipe” avait connu une vente record avec sa une titrée “Pour l’éternité”. Il y a fort à parier que les ventes de 2018 seront spectaculaires pour le numéro titré “Un bonheur éternel”.
Mais c’est “Le Monde” qui nous a réservé une belle surprise. Le 14 juillet 1998, pour célébrer la victoire des Bleus, le quotidien du soir avait imprimé sa première photo en couleur à sa une. Vingt ans après, et pour la première fois dans l’histoire du “Monde”, la photo tient lieu de manchette. Pas de titre, ni de chapô. Juste une photo pour dire toute la joie de la victoire. La foule rassemblée sur la place de l’Étoile, l’image de Kylian Mbappé né en 1998, projetée sur l’Arc de Triomphe. Le foot est un marqueur.
“Le Monde”. Les Bleus ont décroché le monde et là, on se dit que la France est finalement devenue un grand pays du football.
Chuck, people walker
Cela faisait plusieurs semaines déjà que Chuck, un grand barbu costaud, en parlait avec son amie. “On va arrêter de se faire livrer des poulets tikka masala ou des pizzas 4 fromages à domicile, on peut quand même prendre le temps d’aller les chercher à pied, non ?”
C’est donc ce qu’ils firent à partir de septembre dernier dans le quartier bobo de Los Feliz à Los Angeles. Et puis un jour, en marchant, Chuck se retourna sur une annonce de coaching personnalisé et de promeneurs de chiens. Et là, l’idée prit forme. C’est vrai ça, pourquoi promener uniquement les chiens ? “Et si je promenais aussi des gens seuls… et ce n’est pas ce qui manque à L.A. !”
Quatre millions d’habitants dans la Cité des Anges mais presque un tiers de personnes seules. Des jeunes, des vieux, des indépendants, beaucoup de gens travaillant à domicile.
En rentrant avec son poulet au curry, Chuck rédigea son premier flyer qu’il colla le soir même sur les poteaux du quartier. “Vous avez peur de marcher le soir seul dans la rue ? La journée aussi ? Vous n’aimez pas être vu tout seul et que l’on croie que vous n’avez pas d’amis ? Contactez-moi, je suis People Walker.”
Chuck prit un tee-shirt blanc et traça au feutre le nom de son nouveau job en lettres capitales : People Walker. Quelques jours plus tard, un homme l’appelait et ils partirent marcher une demi-heure. Les journaux en parlèrent et très vite on lui demanda de travailler pour lui. Il monta donc un business à lui avec un petit bureau en coworking et développa une application pour smartphone qui met en relation les promeneurs.
“Oui, ça marche très bien, tu indiques quand et où tu souhaites marcher, et si plusieurs walkers sont dans le quartier, tu peux même choisir avec qui tu vas te balader… et discuter. Car les nouvelles technologies ne font pas juste disparaître des emplois… Ce que cherchent beaucoup de nos clients, je crois, c’est avant tout quelqu’un qui les écoute et leur donne le sentiment de compter. Vous pouvez avoir 7 000 amis sur Facebook, mais le jour où vous vous dites ‘Là, j’ai un gros blues et personne ne réagit’. On est très seul dans cette foule à L.A.”
Au départ, Chuck a attiré des gens curieux. “C’est quoi ce mec qui promène les gens comme on promène les chiens ?” Et puis rapidement, beaucoup se sont pris au jeu de la marche et de la discussion. Chuck facture sept dollars la demi-heure.
Ce n’est pas comme un coach sportif, ce n’est pas non plus de l’amitié. C’est juste trente minutes dans une journée à marcher et à parler. Trente minutes d’humanité. Sans avoir à tenir un chien au bout d’une laisse…
"Quelle putain de chaleur !"
C’est Bill transpirant à grosses gouttes au volant de sa voiture et s’adressant à Hubert Bonisseur de La Bath dans le film “OSS 117 : Rio ne répond plus” !
“Quelle putain de chaleur !”. On nous avait pourtant prévenu, mais c’est en voyant les boutiques équipées de climatiseurs, avec leurs gros tuyaux coincés dans la porte d’entrée, que l’on s’est dit que la canicule était là !
L’air conditionné s’est développé au début du XXe siècle aux Etats-Unis pour des raisons économiques. Ça commence avec les salles de cinéma climatisées qui vont accompagner l’âge d’or d’Hollywood et puis rapidement les entreprises vont emboîter le pas avec un constat… quand on maintient de la fraîcheur dans les usines ou les bureaux, la productivité des salariés augmente.
Dans les années 1950, la clim envahit les foyers, puis les voitures aux USA. Les Américains ne peuvent plus s’en passer. La clim est partout et pousse à vivre d’avantage chez soi, ce qui va favoriser l’essor de la télévision. Et qui dit télévision, dit publicité et consommation… la spirale américaine en action.
Dans les années 1960, c’est 10 % des ménages américains qui sont équipés de clim, 90 % dans les années 2000. En France, c’est aujourd’hui seulement 4 % des foyers.
Le problème des climatiseurs, c’est qu’ils recrachent de l’air chaud en consommant une énergie folle. Aux Etats-Unis, l’énergie dédiée aux climatiseurs équivaut à la consommation énergétique totale de l’Afrique !
Les ventes de climatiseurs explosent dans les pays émergeants, comme l’Inde ou l’Indonésie. En Chine, les ventes seraient, aujourd’hui, huit fois plus importantes qu’aux USA. Chaque seconde, c’est dix appareils qui sont vendus dans le monde.
En 2050, on en comptera près de six milliards, soit trois fois plus qu’aujourd’hui. Une spirale inquiétante et paradoxale puisqu’en voulant lutter contre la chaleur liée au réchauffement climatique, le recours à la clim ne fait qu’augmenter le réchauffement climatique…
Comment contourner la climatisation ? Peut-être bien qu’il va falloir revenir aux vieilles recettes utilisées depuis des siècles pour garder de la fraîcheur dans les habitations. Règle de base : fermer les volets dès que le soleil frappe dessus (les Américains, eux, ne connaissent pas les volets extérieurs, ils n’en ont jamais eu… !). À l’exemple des moucharabiehs orientaux qui protègent de la chaleur tout en laissant l’air circuler.
On pourrait s’inspirer aussi des Napolitains, des Siciliens qui tendent de grands tissus dans les rues (certains les mouillent avant), pour retrouver de l’ombre et de la fraîcheur.
Régulièrement, il faut faire une pause et mettre en veille son ordinateur, car c’est un véritable radiateur qui irradie de la chaleur à 40 cm de notre visage.
Enfin favoriser la sieste… encore et toujours. En commençant sa journée plus tôt, à l’aube, quand la fraîcheur est encore présente.
La réponse méditative
La méditation, ce fut longtemps un cliché à l’image des Beatles à la fin des sixties.
En 1968, ils déboulèrent cheveux au vent à Rishikesh, une ville sainte au nord de l’Inde, pour s’abreuver des mots de Maharishi Mahesh Yogi, un gourou qui leur fit découvrir les vertus incomparables de la méditation transcendantale, dont se revendique encore aujourd’hui le cinéaste David Lynch, par exemple.
Sauf que l’histoire méditative de John, Paul, George et Ringo tourna court, quand le gourou viola l’une des compagnes des Beatles. Mais tout ça, c’était il y a cinquante ans. Et la méditation s’est débarrassée de sa dimension spirituelle ou religieuse, pour devenir une pratique quotidienne permettant de retrouver le calme intérieur et la bienveillance.
Récemment, la méditation pleine conscience a même fait son entrée à l’hôpital Sainte-Anne à Paris où exerce le psychiatre Christophe André. Au cœur de cette pratique, l’attention, le maître mot du XXIe siècle.
« Quand on médite, explique le médecin, on passe du temps à recentrer son attention sur l’objet que l’on choisit : le souffle, le corps, les sons, l’examen de ses pensées. »
Car cette attention est devenue le Graal contemporain que tout le monde cherche à capter. Par tous les moyens : les pubs, les écrans, les smartphones, les applications. Et pour capter cette attention, rien de mieux que de provoquer une forte émotion avec les dégâts collatéraux que cela engendre.
« Comme il y a des perturbateurs endocriniens, il existe aujourd’hui des perturbateurs attentionnels, moins visibles mais plus dangereux pour nos capacités intellectuelles et émotionnelles. » La méditation va nous permettre de réguler tout cela.
Un exemple, c’est très différent de penser : « Ce mec est une ordure, je le hais plus que tout ! » et « Je suis en train de me dire que ce mec est une ordure, et je suis en train de me dire que je le hais plus que tout ! »
Il y a une distance qui permet à mon émotion de se décanter. Comme la boule à neige d’Amélie Poulain. Il suffit d’arrêter de la secouer pour voir la neige retomber toute seule. Au quotidien, pris dans l’engrenage de l’accélération, de l’hyperconnexion aux écrans et de la distraction, notre cerveau est sans cesse stimulé.
Christophe André reste persuadé que la méditation répond à une crise de l’époque. « Tout comme l’activité physique est devenue essentielle pour compenser notre sédentarité, la méditation vient pallier les carences invisibles — lenteur, calme, continuité, temps de réflexion — dont nos vies nous privent. »
Donc le matin et si l’on peut le soir après le dîner, accordons nous dix minutes à simplement prendre soin de nous.
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