Ô sneakers !
« Tu te rends compte ? Il y a encore un morceau de verre planté dans la semelle. Incroyable, non ? » Cette paire de baskets Nike, modèle Air Jordan 1, a battu le record de vente aux enchères, pour des chaussures de sport. Un symbole des temps modernes.
Rouges et blanches, arborant le « swoosh » noir de Nike, ces baskets avaient été confectionnées spécialement pour Michael Jodran, la légende des Chicago Bulls, à l’occasion d’une rencontre amicale disputée le 25 août 1985 à Trieste, en Italie. Une tournée promotionnelle où la star américaine tout juste « Rookie de l’année » (meilleur jeune de NBA) avait revêtu le maillot de la Stefanel Trieste pour jouer contre la Juve Caserta.
À l’occasion d’une contre-attaque, l’arrière américain s’envole dans les airs et porte un dunk monumental (un smatch en s’accrochant à l’arceau), qui fera exploser le plexiglass du panneau. La chaussure gauche conservera un éclat dans la semelle, comme une trace inaltérable de ce moment légendaire.
Et c’est cette paire qui vient d’atteindre des sommets, chez Christie’s, en devenant la paire de chaussures de sport la plus chère au monde : 615 000 dollars. Un record qui confirme l’accès des sneakers au rang d’objet de collection de grand luxe.
S’il l’on devait actualiser les « Mythologies » de Roland Barthes, à n’en pas douter, la sneaker ferait partie de la liste des objets les plus emblématiques du début du XXIe siècle.
On est loin des succès encourageants des premières paires blanches et vertes de Stan Smith d’Adidas, dans les années 1970 qui avaient fait sortir la chaussure de sport des cours de tennis pour se répandre dans la ville et devenir universelle. Et tout alla très vite, la contestation politique aux JO, les danseurs de Maurice Béjart pour la « Messe pour le temps présent » qui portent des tennis blanches, les rappeurs Run-DMC qui signent un contrat en or avec Adidas, les skaters et leurs Vans, Issey Miyake qui fait défiler ses mannequins en baskets.
En quelques décennies, la sneaker est devenue l’objet le plus démocratique qui soit, tout le monde en porte : il n’y a que le monde politique qui y résiste encore ! Un objet pourtant controversé, à la fois symbole du “bien-être dans ses baskets” et de la liberté, mais aussi un enjeu économique considérable. Du cool mondialisé à la sauce néolibérale : renforcement de la communication, délocalisation de la production à moindres coûts. Depuis des années, on dénonce les conditions de travail et les salaires très bas des ouvriers dans les usines Nike ou Adidas en Asie… Un chiffre, en 2016 : pour une paire de Nike Air Jordan vendue environ 130 euros, un ouvrier asiatique touchait 2,40 euros, tandis que Nike empochait 23,80 euros de bénéfice.
C’est cet objet qui est aujourd’hui vénéré comme une véritable relique religieuse. Acquérir l’objet que l’idole a pu porter à un moment particulier de sa vie. Et ce moment est inscrit dans la semelle : un morceau de verre…