Miction impossible
On ne s’en était pas trop rendu compte lors du premier confinement, et pour cause, mais la fermeture des bars et des restaurants, à l’automne dernier, a eu pour conséquence de priver les citadins du petit café pris sur le comptoir, prétexte pour descendre aux toilettes…
« Vendredi après-midi, j’étais dans le Marais pour m’aérer… Au bout de deux heures, j’ai été pris d’une envie pressante, et là, panique, pas de WC publics à proximité. J’ai dû me résigner à me soulager entre deux SUV stationnés. » Un comportement pas très citoyen et qui peut coûter cher. Car uriner sur la voie publique à Paris est punissable d’une amende de 68 euros.
La pandémie de Covid-19 a rendu visible le manque criant de toilettes publiques dans la capitale et les grandes villes. C’est devenu un vrai problème pour plusieurs catégories de professionnels : chauffeurs de taxi, livreurs, coursiers, artisans du bâtiment… Certains habitants, eux, ont fait le choix de ne plus trop s’éloigner de leur domicile.
L’installation de lieux de commodités dans les rues de Paris remonte à 1834, pendant la Révolution industrielle. Avant, on ne se posait pas de question, on se soulageait contre un mur comme on le faisait à la campagne. Le préfet de la Seine, le comte de Rambuteau, entend appliquer les nouvelles théories hygiénistes. Ainsi 478 édicules sont construits le long des rues principales de la capitale.
Ces urinoirs gratuits pour messieurs, surnommés vespasiennes en référence à l’empereur romain Vespasien qui avait instauré un impôt sur la collecte des urines, vont très vite se multiplier. Parce que les gens n’ont pas de lieux d’aisance dans leurs logements, et qu’il n’y en a pas non plus sur les lieux de travail. Tant pis pour les dames : des sanitaires publics qui leur seraient réservés, ça n’existe pas encore. Au début du XXe siècle, Paris compte plus de 4 000 pissotières : c’est sans doute la ville d’Europe où il y en a le plus.
À cette époque, on parle de « tasses », à cause de leur forme de théière. Dans ces lieux de promiscuité masculine, la drague homosexuelle a fleuri. Un cocher avec un duc, un fils de bonne famille avec un artiste de beuglant… les bonnes mœurs sont menacées tout comme l’ordre social ! Au début des années 1960, le conseil municipal de Paris vote la disparition graduelle des vespasiennes.
Petit à petit, les bars et les restaurants prendront le relais. Il faudra attendre 1981, pour que l’on découvre les premières sanisettes Decaux, bijou de modernisme, des toilettes mixtes, autonettoyantes… et payantes. Aujourd’hui, il y a seulement 750 toilettes publiques à Paris dont 435 sanisettes nouvelle génération gratuites depuis 2006. Soit 0,14 W.-C. public au kilomètre carré. Une misère ! C’est pire à Marseille où l’on recense 22 toilettes publiques. Et que dire de Lille où il n’y en a que neuf ?
Alors voilà, depuis le début de l’année, trouver un endroit pour se soulager au temps du Covid est devenu un vrai casse-tête. Quand on doit déambuler quelques heures dans Paris, on repère sur la carte les toilettes publiques qui vont nous servir d’étapes dans l’après midi. Et l’on croise les doigts pour qu’il n’y ait pas une longue file d’attente, sachant bien entendu que la parité n’est pas de mise entre deux SUV !