L'arbre à loques
De loin, on croit deviner une décharge autour d’un arbre mort, et puis l'on s'approche. Ce sont des vêtements, des mouchoirs, des morceaux de tissu qui sont accrochés sur l'écorce ou qui pendent.
On en avait parlé avec un paysan du Calvados. “Tu devrais aller au Pré-d’Auge, c’est à quelques kilomètres de Lisieux. Y’a là-bas un arbre qui guérit les maladies de peau.”
“Un arbre à loques” comme ils disent. C'est un rituel enraciné depuis le siècle dernier. Les mêmes gestes. À côté de l'arbre se trouve une source qui aurait des vertus. On trempe un chiffon dans l'eau, on frotte sur la peau, là où il y a des plaques rouges, de l'eczéma, du psoriasis, des allergies. Et puis l'on va accrocher le tissu dans l'arbre. Au milieu des autres loques. Certains font même une prière.
Quand certains nouent le chiffon, d'autres le fixent avec un clou, d'autres encore déposent la loque sur une branche. Comme dans toute pratique thérapeutique, “il faut que ça passe”. Il y aurait un transfert entre le mal fixé sur la loque et l’arbre au pouvoir guérisseur. Transférer la maladie à un végétal pour la faire disparaître.
“Surtout, ne touche pas les loques qui sont accrochées à l'arbre, tu risquerais d'attraper les maladies dont elles sont porteuses. Y’a que ceux qui croient à rien qui peuvent toucher l’arbre sans risque. Mais ceux qui croient pas, ils viennent pas.” Le vent se lève, les feuilles du chêne bruissent. Le bruit de l'eau…
“Et faut faire attention, faut être en tête à tête avec l'arbre, il ne faut pas être vu des autres personnes, sinon le message, il ne passe pas !” En venant, chacun contribue au mystère.
Dans ces campagnes de bocage, le christianisme condamnait à tour de bras tous ces cultes païens voués aux arbres, aux sources ou aux pierres. Jusqu’au 19e siècle, la médecine moderne était quasiment inexistante chez les paysans. Il y avait deux mondes qui étaient bien séparés. D’un côté, les médecins qui étaient surtout urbains, ils étaient rares et chers et puis de l’autre, la confiance que l’on portait aux sources, aux arbres, aux animaux, à la nature avec laquelle on vivait.
Ces pratiques ont longtemps résisté dans le nord de la France, en Basse-Normandie, ou encore dans la Somme. En Belgique et en Irlande également.
Pour assurer la transmission du rituel et prendre la succession de l’actuel arbre, en fin de vie, on a planté en 1920, un deuxième chêne à proximité du premier. Et puis un troisième il y a quelques années.
Ce jour-là, on a accroché un mouchoir que notre mère avait gardé jusqu’au dernier jour. Il y avait une petite initiale brodée dans le coin.