La fin d'une utopie
Le 1er mai dernier, on est parti découvrir le Familistère de Guise, dans l’Aisne, pas très loin de la Belgique. Tous les ans, la fête du Travail est l’occasion de rappeler l’aventure utopiste de Jean-Baptiste André Godin, un industriel du XIXe siècle, qui bâtit un Palais social pour les ouvriers de son usine de poêles en fonte.
C’est finalement très troublant de sentir les résonnances avec ce que l’on vit aujourd’hui. Ce miroir Révolution industrielle / Révolution numérique.
Au XIXe naissant, le capitalisme prêchait l’avènement des machines comme un facteur de progrès, qui allait permettre à la société de mieux vivre. Déjà, le discours sur l’avenir et son monde meilleur. Sauf que, très jeune, Godin parcourt la France pour perfectionner son métier de serrurier. Et là, surprise, ce qu’il découvre, c’est la misère et l’exploitation des travailleurs par une classe privilégiées. C’est douze à quinze heures de travail par jour. On parle d’avènement de la machine au service du peuple mais sur le terrain, l’asservissement généralisé est devenu la règle.
De retour dans le Nord, Godin devient rapidement un industriel à la tête d’une importante fonderie et manufacture de poêles à charbon en fonte de fer. Sauf que son projet est beaucoup plus ambitieux : il est persuadé qu’il peut créer un modèle de société nouvelle, plus égalitaire. Plus juste.
En 1842, Godin découvre les écrits du philosophe Charles Fourier et c’est le déclic. Son phalanstère à lui sera un familistère bien réel. À proximité de son usine de Guise, il fait bâtir, à partir de 1859, un complexe d’habitat collectif destiné à accueillir jusqu’à 2 000 personnes. Un Palais social qui offre “les équivalents de la richesse” à ses habitants.
Le Familistère mettait à la disposition de la communauté les avantages habituellement réservés aux individus fortunés. L’hygiène, la santé, l’éducation, le confort, les loisirs. Godin est persuadé que l’émancipation sociale peut profiter à tous. Dans un premier temps, les ouvriers sont sceptiques… un chef d’entreprise qui veut le bonheur de tous, ça cache surement quelque chose !
En 1880, Godin va plus loin, il dépose les statuts de l’Association coopérative du Capital et du Travail, société du Familistère de Guise. Les travailleurs deviennent associés et propriétaires de leur outil de travail.
On fête cette année les cinquante ans de Mai 68. Cela correspond aussi à la fin de l’aventure utopique de Godin. En juin 1968, après quatre-vingt-huit ans d’existence, l’Association s’est dissoute et l’usine de Godin a été vendue. Problèmes économiques, mais surtout, l’esprit coopératif et solidaire du départ avait disparu.
L’envers du paradis, la convivialité obligatoire devenait insupportable aux habitants du Familistère de Guise. Une utopie révolutionnaire naissait sous les pavés, un monde nouveau semblait possible, tandis qu’un autre disparaissait.