"Continuez tout droit."
À 10 kilomètres de Valence, on avait bien vu les panneaux routiers indiquant des travaux sur le pont du Rhône, mais on avait continué. Des panneaux “Déviation”, précisant qu’à 500 mètres, la route était barrée…
… mais on avait sagement écouté le GPS qui nous répétait : “Continuer tout droit”. Et là, on se retrouve devant la berge avec une route coupée par de grands plots rouges et blancs. Et toujours l’injonction du GPS : “Continuez tout droit”. On regarde, médusé.
À ce moment-là, plutôt que de revenir au point de départ de la déviation, on se la joue plus malin, genre pigeon voyageur avec mission de confiance. Et l’on s’embarque sur une petite route pensant longer le fleuve… pour se retrouver sur une aire sableuse au milieu de rien. De rien du tout. Genre ambiance à la David Lynch avec des virevolants, ces boules d’herbe qui roulent, ou bien à la Into the Wild où t’es dans le bus et que tu ne bouges plus…
“Faites demi-tour”, “Tournez à droite”… On n’en peut plus du GPS car l’on prend subitement conscience que l’on n’a absolument pas regardé le paysage et que maintenant, on est perdu. Avec une question en tête : Est-ce qu’il vaut mieux descendre en aval pour trouver un autre pont ou remonter pour traverser en amont ? Sauf que ça, le GPS, il ne le sait pas.
Alors bien sûr que quand on regarde notre smartphone, on voit bien la pastille qui nous dit “Vous êtes ici”. Sauf qu’ici, on ne sait pas où c’est ! “Sympa de m’indiquer que je suis le centre du monde, mais ça ne me dit rien de ce que je dois faire.”
On ouvre la boîte à gants pour chercher une carte routière. On descend du véhicule et l’on déplie l’accordéon sur le capot. “Voilà, c’est pas compliqué, le prochain pont est à 12 km”.
Il fut un temps, pas si lointain, où quand on partait en vacances, on s’attablait la veille pour préparer l’itinéraire du voyage. On se retrouvait devant une grande carte. On prenait des notes et on visualisait le parcours. On calculait la distance et approximativement, on estimait le temps pour pronostiquer où l’on pourrait s’arrêter déjeuner. On découvrait que sur le chemin, à quelques kilomètres, il y avait le Palais idéal du facteur Cheval.
La performance, le performatif, le trajet le plus court en moins de temps possible… L’idéologie managériale a tout envahi. Seule compte aujourd’hui, la destination, le but. On en oublie le voyage et ses imprévus. La dérive chère à Guy Debord.
On va prendre le temps de regarder et plutôt que d’avoir l’œil rivé sur l’écran, on va juste ne plus être obnubilé par notre position. On va commencer par observer dehors, le Rhône, la berge, la nature. Avec en tête, une inscription que le facteur Cheval avait gravé au-dessus d’une porte de son palais : “Ce n’est pas le temps qui passe, mais nous.”