Soudain devant Notre-Dame-de-l’Assomption…
Week-end ensoleillé sur Paris. On passe tranquillement en vélo, rue Saint-Honoré. Et soudain, au niveau de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, on entend des cris… sans trop reconnaître la langue.
Mais à l’intonation menaçante, il y a de fortes chances qu’un mec soit en train de gueuler : “Je vais te crever, ordure !” Cette église abrite la communauté religieuse polonaise de Paris. Et là, on voit trois hommes en train de courir sur la place. On s’arrête, nous sommes plusieurs à regarder ce qui semble être un règlement de compte.
Les hommes, en chemises, se tapent dessus avant qu’un des trois ne s’éloigne, la gueule en sang. Une femme près de nous intervient : “Non, mais c’est pas possible, il faut absolument éviter ça ! Toute cette violence, mais enfin, c’est inacceptable !”
Et là, on se dit que c’est finalement très rare aujourd’hui de voir des bagarres dans la rue. Que ça l’était beaucoup moins il y a cinquante ans. Que ça faisait même partie du quotidien. On nous reparle de Mai 68, mais en 1968, les fachos d’Occident, munis de barres de fer ou de battes de baseball cherchaient la baston avec des bolchos d’extrême gauche… et ça ne choquait personne.
L’on nous dit que le monde d’aujourd’hui est beaucoup moins violent qu’avant, que la violence physique serait beaucoup moins répandue. Mais la violence a-t-elle vraiment disparu ou s’agit-il d’une mutation ? On met la violence à distance en devenant modéré. En apparence.
Dans les cours de lycée, on ne voit plus trop d’ados s’écharpant pour une histoires de meufs. Par contre, les cas de harcèlement, d’humiliation sur les réseaux sociaux explosent. La violence serait devenue invisible, intériorisée.
Dans un très beau texte de 1939, la philosophe Simone Weil, exprimait déjà cette idée : “La force qui tue est une forme sommaire, grossière de la force. Combien plus variée en ses procédés, combien plus surprenante en ses effets, est l’autre force, celle qui ne tue pas ; c’est-à-dire celle qui ne tue pas encore. Elle va tuer sûrement, ou elle va tuer peut-être, ou bien elle est seulement suspendue sur l’être qu’à tout instant elle peut tuer…”
Pas de sang, pas de nez cassé. C’est la violence actuelle, celle de la pression sociale, de la tyrannie économique, c’est le burn-out généralisé dans le monde de l’entreprise. Les suicides chez Orange, les licenciements par centaines ou milliers au moment où les actionnaires du CAC 40 n’ont jamais touché autant de dividendes. C’est en plus, au quotidien, la violence de la visibilité recherchée sur les réseaux sociaux.
On regarde l’homme blessé qui vient de sortir un mouchoir. Il s’est assis sur un banc. Les deux autres, la chemise tachée de sang, sont rentrés dans l’église. La messe n’est pas encore terminée. Ils vont pouvoir s’agenouiller et communier avec leurs familles.