De la neige dans les yaourts ?
JO d’hiver 2018 à Pyeongchang, en Corée du Sud et tout le monde constate que les tribunes sont désespérément vides devant la descente hommes qui est normalement la discipline reine des Jeux olympiques d’hiver.
“Il n’y a personne, c’est vraiment ridicule... Entre le ski alpin et les Coréens, l’incompréhension est presque totale”, juge le journal L’Équipe. Faut dire que les tarifs sont exorbitants (400 € la place pour la finale dames de short track), qu’il fait très froid, jusqu’à - 20°C pour certaines épreuves. Mais alors, ils sont où les Coréens, s’ils ne sont pas au bord des pistes ?
Et là, on tombe sur le “mukbang”. Rien à voir avec une nouvelle discipline olympique. Pas besoin de se geler sur les sommets enneigés, il suffit de se caler devant son écran d’ordinateur pour regarder une vidéo. On y découvre une jeune fille, qui aligne une quarantaine de pots de yaourt devant elle. Elle ouvre le premier et enchaîne les coups de cuillère à un rythme régulier, tout en dialoguant avec des internautes curieux d’en savoir plus sur elle. Au bout d’une demi-heure, la fille se lève, disparaît quelques instants et revient avec trente nouveaux pots de yaourt, qu’elle va ingurgiter avec la même régularité.
Depuis plus de trois ans, le “mukbang” (“manger en ligne” en coréen) explose sur les écrans internet en Corée du Sud. Les “mangeurs” (plus de 15 000 individus) commencent généralement à se filmer, parce qu’ils se sentent seuls. Et de l’autre côté, les “voyeurs” (plus de 500 000 par jour) se sentent un peu moins seuls. Ils ont l’impression de dîner “en famille”, en suivant presque religieusement Shoogi, 20 ans, par exemple, qui se bâfre de poulet frit puis engouffre deux plats énormes de tteokbokki, des gâteaux de riz baignant dans de la sauce épicée. Résultat, banco ! Plus d’un million de vues sur YouTube. Certains “mangeurs” en font un véritable business, via les dons des spectateurs ou le recours à des sponsors.
Autre vedette du moment, un vrai champion élevé au grain, c’est Benzz qui affiche plus de 150 millions de vues avec près de 500 000 abonnés. C’est tous les jours que l’athlétique jeune homme publie une vidéo, où on le voit se goinfrer avec une montagne de gâteaux à la crème, accompagnés de plusieurs briques de lait. “À chacun son talent ! Moi, j’ai une excellente digestion. Je peux manger énormément sans problème !”
Dans une société ultra-compétitive où le stress est partout, les Coréens sont en permanence sous tension. Le devoir de réussite et l’obsession de l’excellence, la peur de l’échec, la frustration… tout le monde est au bord du pétage de plombs. Pour eux, suivre les JO, c’est retomber dans la performance et la compétition. Alors que de regarder des vidéos de “mukbang”, c’est carrément de la méditation, de l’anti-stress en crème pâtissière. Du divertissement quotidien en blancs de poulet frit. “À la place de l’épreuve de saut à ski, le jeune Patoo, 16 ans, lui, ça fait trois jours qu’il s’empiffre de nouilles avec du bœuf au soja, j’adore ça !”