Au moins trois doigts !
C’est une maîtresse d’école qui racontait ça, l’autre soir autour d’un verre. “C’est limite la cata en classe, les enfants n’arrivent plus à écrire avec un stylo… Ils perdent patience, ils s’énervent et envoient tout balader.”
“Hé, Madame, c’est pas possible, j’ai mal au bras d’écrire si longtemps !” Faut dire qu’ils ont l’habitude des écrans qui répondent immédiatement. Et là, on leur demande de prendre le temps, de former des lettres.
“Et puis y’a pas que ça, c’est même une histoire de main, de doigt. Plus ça va, moins ils réalisent de trucs manuels qui demandent de la dextérité et du temps. Du coloriage, du pliage, du découpage… Faire un pompon avec du carton et de la laine, c’est toute une galère !”
La main, pour les gosses aujourd’hui, se résume à l’index. Sauf que pour écrire, il faut au moins utiliser trois doigts ! Et l’on a constaté que l’articulation de l’index des enfants évoluait, elle se plie dans l’autre sens que celui dont on a besoin pour tenir un crayon. Tenir un crayon devient compliqué.
Aux États-Unis, on en revient, du tout numérique où l’on écrivait uniquement au clavier (en 2016, c’étaient 45 États sur 50 qui donnaient la priorité au clavier). L’écriture manuelle refait surface dans les petites classes. Car écrire à la main permet de mieux mémoriser les lettres, les mots. Quand on écrit au clavier, on tape sur des touches, c’est toujours le même geste.
En 2007 déjà, Bill Gates et Steve Jobs débattaient du problème. Le fondateur de Microsoft défendait l’écriture manuscrite sur une tablette à l’aide d’un stylet, quand le gourou de Apple jugeait le stylet ringard et dépassé.
Pour qu’on comprenne bien la nuance, la maîtresse prend un exemple simple. “En écrivant à la main, même si on fait la même lettre, elle sera différente selon le mot. Si j’écris ‘en’ et ‘on’, le ‘n’, je ne le fais pas de la même manière, et ça crée une mémoire motrice, qui est réutilisée par notre cerveau, quand on doit identifier visuellement les lettres. Quand on apprend les lettres au clavier, on ne crée pas cette mémoire motrice. Ce qui est sûr c’est que l’écriture manuscrite peut rapidement disparaître, c’est peut-être la dernière génération d’enfants que je vois écrire en classe.”
Et la maîtresse de se retourner vers nous et de poser la question. “Et vous, au quotidien, vous écrivez beaucoup avec un crayon et un papier ? Vous envoyez des mails, vous utilisez votre smartphone… Ça fait combien de temps que vous n’avez pas écrit ?”