"Les monstres, ça n’existe pas !"
Adèle Haenel, on l’avait follement aimé dans le film de Robin Campillo, « 120 battements par minutes », en militante d’Act Up, au milieu des années 1980. Mais lundi soir, dans le live de Mediapart avec Edwy Plenel, ce que l’on a vécu, c’est tout autre chose. C’est un moment médiatique comme on en voit peu. Un basculement.
Pendant une heure, Adèle Haenel parle d’attouchements et de harcèlement sexuel, quand elle avait entre 12 et 15 ans. En 2002 repérée lors d’un casting, elle tourne son tout premier film, « Les Diables », réalisé par Christophe Ruggia. Durant une année, semaine après semaine, le metteur en scène va la tenir sous son emprise.
En avril de cette année, elle en parle à la journaliste de Mediapart, Marine Turchi, qui commence alors un long travail d’enquête pour retrouver des témoins et des preuves qui confirmeront les faits.
Lundi soir, nerveuse, Adèle Haenel, 30 ans, exprime sa colère, parle de sa décision de prendre la parole après tant d’années de silence. « J’ai vu récemment un documentaire sur Michael Jackson (“Leaving Neverland”, ndlr), qui m’a fait changer de perspective sur ce que j’ai vécu. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas que d’une histoire privée, mais que c’était une histoire publique. »
Pendant une heure, elle va détailler, expliquer, parler des mécanismes qui se mettent en place, des corps maltraités, humiliés. Elle parle de cette société française qui n’écoute pas les femmes. « Il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire. La justice doit se remettre en question. Il y a tellement de femmes que l’on envoie se faire broyer. » C’est plus d’une femme sur cinq qui avoue subir ou avoir subi des violences sexuelles.
Elle prend la parole, aujourd’hui, en combattante. Ce sont les mains d’Adèle Haenel qui se crispent. La peau du visage qui gratte. La mâchoire qui, par moment, se bloque quand les mots ne sortent pas. Mais ce sont surtout ses yeux, fatigués d’une colère contenue depuis tant d’années. Un regard d’une extrême puissance.
Alors bien sûr qu’Adèle Haenel est une personnalité publique, une actrice connue et reconnue, célèbre. Elle le sait et parle pour toutes les femmes qui ne peuvent le faire. « Aujourd’hui, c’est une responsabilité pour moi, parce que je suis en mesure de le faire, parce que je travaille suffisamment… »
Il faut écouter les mots d’Adèle Haenel pour mesurer la force de son propos. Ecouter, tétanisé devant l’écran, ce que l’actrice dit de la société, du rapport des hommes et des femmes. « Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société, c’est nous, c’est nos amis, c’est nos pères. C’est ça qu’on doit regarder. »
Au bout d’une heure, elle sortira de sa poche et lira une lettre qu’elle a adressé à son père qui lui conseillait de se taire. Juste l’envie d’écouter en silence les mots de l'évidence que chacun prend en pleine gueule.
« L’immobilité se nourrit de la peur. Et c’est ce qui peut pourrir les familles. » Quelque chose a basculé en ce début novembre 2019. Un moment Adèle Haenel…