Sauver les apparences
Au Japon, c’est aujourd’hui devenu commun de s’offrir les services d’acteurs pour pallier l’absence d’un membre de sa famille, d’une relation amoureuse, d’un ami ou simplement pour rompre la solitude.
Tu contactes une agence et tu peux choisir dans un catalogue de plus de 800 acteurs et actrices, aussi bien des enfants en bas âge que des personnes âgées. Un acteur de l’agence Family Romance présente son job. « Une de mes clientes, dont le mari avait quitté le foyer, me loue depuis plus de neuf ans ! Au début, sa fille était en primaire et refusait d’aller à l’école. J’ai donc été engagé comme son père et elle a fini par y retourner. Elle a maintenant 19 ans, elle est à l’université et elle pense toujours que je suis son père. J’ai plusieurs familles dans cette situation… environ vingt-cinq ! »
Certaines agences permettent d’organiser une séance photo, afin d’alimenter ses réseaux sociaux. Figurants, décors, maquillages, tout est mis en œuvre pour générer des likes et booster sa confiance en soi.
Question prix, tout ça est abordable et banalise même cette prestation. Il faut compter 10 000 yens, soit 80 euros, pour un invité supplémentaire à une cérémonie de mariage, avec un supplément de 8 000 yens pour qu’il prononce un discours.
Dans la culture japonaise, cette prestation répond au souci de sauver les apparences. Car souvent, au pays du soleil levant, la forme est plus importante que le fond. Il faut être comme les autres, pour supporter le regard des autres. Que l’on n’ait pas d’amis est une chose, mais il ne faut pas que cela se sache.
« Si vous vous mariez et que votre belle-famille a 200 invités et vous n’en avez qu’une cinquantaine, vous pouvez engager des acteurs et ne pas perdre la face. » Il est tentant de ne voir dans cette « location de proches » qu’une énième bizarrerie japonaise et de sourire de cette différence d’approche culturelle.
Et pourtant quand nous diffusons sur les réseaux sociaux, une image quelque peu déformée, une mise en scène esthétique de notre quotidien, nous ne faisons pas autre chose… que de sauver les apparences.
Dans une interview à « Sofilm », Werner Herzog revenait sur « Family Romance, LLC » : « Quoi qu’on dise, la majeure partie de notre vie est une performance, en famille ou dans notre rôle de parent. Très souvent, nous jouons et cela me paraît sain. C’est inhérent à notre nature sociale. Mais ce qui se passe au Japon, actuellement, est un phénomène de masse, et c’est en train de foncer vers nous ! »